À l’heure où le Grand Paris place la capitale sous le signe de la prospective, revenir sur les multiples rêves d’avenir qui l’ont traversés peut s’avérer nécessaire pour comprendre les projections d’aujourd’hui et envisager celles de demain.
La ville ne cesse de se projeter. Mais encore faudra-t-il bien distinguer le projet de la projection. Tandis que le projet, commun en architecture et urbanisme, attache le futur à l’analyse rationnelle du passé et du présent, sans discontinuité, en réduisant le futur à une temporalité courte et expérimentale, la seconde rompt en revanche ces amarres du présent pour faire de la ville future l’écran fantasmatique sur lequel se projettent désirs et craintes.
Nul étonnement si, de ce côté-là, se profilent utopies, contre-utopies ou apocalypses. La projection permet d’ouvrir le présent, mais aussi de l’interroger plus radicalement, «de défamiliariser et de restructurer l’expérience que nous avons de notre présent » (Jameson, 2008) et est à même, de ce fait, de jouer un rôle décisif.
Ce que nous portons comme enjeu pédagogique de cette proposition est bien là : ouvrir à l’exercice de la projection de manière interdisciplinaire en convoquant l’architecture et l’urbanisme, l’économie, l’anthropologie et les arts plastiques. Pédagogiquement, il s’agira d’apprendre l’intérêt de travailler à grande échelle temporelle, sur les temps longs, structurant un territoire plutôt que sur la courte période.
Enfin, si les technologies ont aujourd’hui produit un dangereux « raccourci du futur » au point de parfois même contracter l’imagination prospective, une espèce d’aveuglement temporel, notre programme propose de travailler sur un horizon plus large capable de décloisonner l’idée temporelle de futur installée dans les dernières décennies, post crise pétrolière (1973). Nous proposons de travailler et faire l’expérience de ces différentes échelles de temps, par toute les disciplines, et produire des projections du territoire Grand parisien à 150 ans.
Pour ce faire, comme la prospective et les sciences économiques nous l’enseignent, il faut comprendre les tendances profondes qui régissent le territoire : ainsi comme une double page d’un livre, il faut ouvrir parallèlement à 150 en arrière. 1865-2165. L’année 1865 marque l’étape décisive de l’élargissement et de la modernisation de la Ville de Paris par le baron Haussmann. Cette époque correspond également à un moment de forte accélération de l’industrie, de la mobilité, de l’économie, de la culture et de rayonnement international de Paris. Ce point de repère critique reste valide pour comprendre la métamorphose actuelle, et les tendances futures qui se dessinent.
Ainsi si les industries on été un facteur historiquement structurant du territoire francilien, l’émergence d’une économie post-industrielle au tournant des années 1990 convoque une approche prospective qui sache intégrer des usages productifs d’autres natures, qu’ils soient cognitifs, socio-culturels, numériques ou collaboratifs. Cette strate plus immatérielle est un ingrédient fort de la réinvention urbaine et la mutation durable de ses lieux. De même les usages émergent issus des réseaux et « communautés créatives » (que l’on parle de pratiques artistiques, de fablabs, de
start-up innovantes, ou de co-working et de on- et off-line) ont valeur de « signaux faibles » annonciateurs d’une transition économique et territoriale que les architectes formalisent ou même catalysent, et que les politiques publiques accompagnent et cadrent.
Les futurs professionnels de la ville, que leur casquette soit celui de l’architecte, du manager ou du créatif, doivent dorénavant comprendre l’entre-maillage de ces domaines de pratiques et de connaissances où s’invente leur métier de demain. On voit bien combien création, apprentissage, partage de connaissance, imagination et expérimentation collaborative sont au cœur de la métamorphose urbaine, dans ses multiples dimensions.
L’approche
Les équipes d’étudiants seront invités à mobiliser une palette de méthodes en soutien et prolongement de l’exercice de projection. En effet, pour cette proposition pédagogique, la question méthodologique sera abordée par l’acte de récolte et d’organisation des données ainsi que par la mobilisation de divers outils de représentation et d’analyse tels que : représentations temporelles de type timeline permettant des lectures thématisées, synchroniques et diachroniques ; représentations cartographiques à différentes échelles thématisées en concordance avec les thèmes des timeline ; analyse systémique, de modélisation et métamorphose spatiale avec une mise en évidence des moments clefs de transformation de la ville ; construction d’un corpus de récits sur le futur de la ville de Paris, analysés selon une grille commune et transversale ; construction de scénario prospectifs explicitant leurs liens avec les tendances observées sur une période de temps passé équivalente à l’horizon de projection future ; représentations statistiques, data visualisations ; exercices de «design fiction » plus subjectives et spéculatives, graphismes en techniques mixtes, extraits vidéos ou sonores, installation ou scénographie.
Ces méthodes seront fournies sous la forme d’un Lab-Book, servant de manuel et d’outil d’accompagnement à l’expérimentation collaborative.
Ces articulations entre temps présent – expérience directe et temps long – historique et prospectif, a pour objectif de sensibiliser très concrètement les étudiants à la complexité multidimensionnelle de la transformation territoriale. Cela permettra de les familiariser à différentes méthodes (historiques, prospectives, urbanistiques, plastiques, narrative, etc.) par une approche pluridisciplinaire.
D’autre part, afin d’engager les étudiants dans un esprit de travail « lab » et les initier à une culture expérimentale, l’espace pédagogique de l’AIGP au Palais de Tokyo sera mis en scène sous la forme d’une installation évolutive, permettant de spatialiser et organiser visuellement des panoramas de contenus (brainstorming, mur d’inspiration, ligne de temps, etc.) facilitant le travail de groupe.
L’élaboration du groupe de participants (30 max) portera un soin particulier à son ouverture et équilibre pluridisciplinaire.